Fée du logis
Groupe : Membre Honoraire
Messages : 3054
Inscrit le : 26/05/03
Lieu : Jamais bien loin...
Membre no. 114
|
En attendant la poursuite du Quizz par le vainqueur de la premiere édition (Soit l'humble Draaz), je me permet de vous soumettre un petit article somme toute sympatoche. Démontrant ô combien, le métier de souverain, la célérité et l'application dans l'art de gouverner n'est plus.
Source : Mémoires du Baron Fain. (Décrit aussi dans les Mémoires de Marchand.)
Passé le premier sommeil, vers deux heures, il se levait, enfilait une robe de chambre, en été de basin blanc, en hiver de molleton et, la tête entourée d'un madras noué à la diable, il entrait dans son bureau. C'était le moment de la journée où, dans le silence et l'isolement, il étudiait les grandes affaires, prenait les plus grosses décisions, épluchait aussi les rapports financiers. Parfois, le jour le surprenait au travail; il demandait alors son bain. En général, il se recouchait vers cinq heures, pour se relever à sept et s'habiller. Il revenait alors à son bureau. Le secrétaire de service l'y attendait, après avoir préparé "la signature" et le courrier dans des "chemises de papier tellière". Napoléon relisait les lettres qu'il avait dictées la veille, raturait et signait. Il s'asseyait ensuite sur le canapé, proche du guéridon sur lequel s'entassaient les dépêches de la nuit et la correspondance que l'ont venait de recevoir. Napoléon lisait rapidement le tout, faisait trois piles à des places immuables : "Le répondu", c'étaient les affaires les plus simples, pour lesquelles, au fur et à mesure, il avait dicté les réponses. Pour se détendre, il prenait alors connaissance du rapport quotidien que lui envoyait le préfet de police, et des journaux, en particulier du Moniteur, organe du gouvernement. Il dictait ensuite les ordres qui lui inspirait la lecture des nouvelles, voir le canevas d'un article pour le Moniteur, car il avait tout particulièrement compris le rôle de la presse dans le domaine politique. Sans désemparer, il s'attaquait alors au "courant", dictant très vite, comme s'il parlait et sans jamais se répéter. Ce faisant, il arpentait la pièce "Comme la pendule marque le mouvement d'une horloge", la cadence des pas épousant le rythme de la parole...
A neuf heures, le chambellan de service grattait à la porte, pour annoncer "le lever". Napoléon passait alors au salon ou l'attendaient les ministres, les hauts fonctionnaires, les responsables du Palais, les préfets de passage à Paris. Le "lever" ne durait pas plus de cinq minutes, lorsque l'assistance était peu nombreuse ou inintéressante. Napoléon retournait aussitôt à son cabinet et travaillait jusqu'au déjeuner qui était intime et réservé à la famille : cependant, pour gagner du temps, l'Empereur en profitait pour s'entretenir avec son architecte, son bibliothécaire, ses peintres. Le repas avalé, les artistes congédiés sur quelque bonne parole, il retournait au travail, comme un chef de bureau ponctuel et zélé, et reprenait les dictées du "courant". Le travail du secrétaire était quelque chose d'affolant, car Napoléon sautait d'un sujet à l'autre, des dépenses du Trésor à un projet de fortification ou à une note diplomatique. Sa mémoire tenait du prodige : cependant elle s'aidait de petits "livrets" établis par chaque ministre et régulièrement tenus à jour. "Le métier d'Empereur, disait il, a ses outils comme tout autre." La besogne abattue, il se "délaissait" en examinant ses comptes personnels, en accordant des dotations, des grâces ou des récompenses, parfois des dons sur sa cassette. Ou bien il ouvrait quelque brochure ou quelque livre. Mais apportait-on une dépêche télégraphique ou un pli urgent, l'enfer recommençait pour le secrétaire. Il arrivait que, dans sa hâte fébrile et voulant aider, l'Empereur se brulât les doigts en scellant une lettre.
Cinq heures sonnaient. Le secrétaire pouvait enfin mettre au net les dictées jetées sur le papier en signes "Hiéroglyphiques". Pour l'Empereur, commençait la seconde partie de la journée. Le mercredi, il présidait le Conseil des ministres. Les lundi, jeudi et samedi, le Conseil d'administration où l'on traitait d'une seule affaire ou d'un seul type d'affaire, en présence du ministre intéressé et de techniciens. Les mardi et vendredi, le Conseil d'Etat.
Vers sept heures, dîner officiel avec les Grands officiers de la maison, mais qui durait un quart d'heure, rarement plus. Ensuite, "Salon de l'Impératrice", ou l'on jouait aux cartes, aux échecs ou au billard : Mais Napoléon préférait attirer dans une embrasure quelque personnage de son choix, parler et questionner. Ordinairement, les soirées s'achevaient aux alentours de dix heures. Mais souvent, l'Empereur les écourtait pour tenir un Conseil, ou pour se rendre au spectacle. Avant de se coucher, il distribuait à ses chefs de service les ordres pour le lendemain et, si quelque dépêche importante lui était signalée, il la lisait. Le dimanche était jour de "représentation". Il y avait revue au Carrousel, audience diplomatique, parfois Conseil des Grâces et, les soirs, dîner chez Madame Mère, puis cercle ou spectacle au théâtre des Tuileries. L'Empereur séjournait il à Saint-Cloud, à Compiègne ou à Fontainebleau, les secrétaires et ministres suivaient et il y avait très peu de changements dans le programme de travail.
Pendant les campagnes de guerre, il en était de même. Entre les combats, l'Empereur travaillait dans une voiture spécialement conçue pour cet usage, ou dans sa tente à rayure bleues et double cloison. Les dossiers, les portefeuilles, les "livrets" des ministres suivaient dans des sacs de cuir à la garde de Roustan et des frères Archambault. Les ministres restaient évidemment à Paris, mais de jeunes conseillers d'Etat faisaient la navette entre la capitale et le théâtre des opérations; cela les aguerrissait. Ainsi le chef de guerre assumait il en même temps la charge de premier administrateur et gagnait il sa solde d'Empereur!
On se demande, avec le docteur Warden, comment un organisme humain put résister à un tel régime, à une semblable tension des nerfs. Car, enfin, cette existence trépidante, cette activité polyvalente, durèrent plus de quinze ans.
Bien à vous,
Damned.
--------------------
- Supposez que je sollicite de vous en tant qu'étranger en route vers l'Ouest de chercher ce qui a été perdu, qu'est-ce que vous diriez ? - Dans ce cas je dirais : d'où venez-vous mon ami ? - Et je vous répondrais : de l'Est tout en espérant que vous irez transmettre mon message à la Veuve pour le salut de tous ses fils...
|